Corine Borgnet
“Corine Borgnet épuise des mondes jusqu’à sa déchirure, jusqu’à ce que l’ennui perce
une référence à la nuit, à l’insomnie, au désœuvrement, c’est-à-dire au désir d’autre chose.
Ces mondes sont des projections imaginaires dans des univers identifiés, clos sur eux-mêmes. Il y a le monde du travail qui agite les individus sous un ordre régulateur et dont l’équilibre précaire de la tour de Babel est une résurgence. Celui de l’enfance, des mythes et des contes, et puis tous ces entre-deux suggérés par ses cabinets de curiosité et ses formes compressées par des cordes de bandage, comme si ce qui lie est aussi ce qui libère. Ainsi se dessinent des feuilletages de mondes : de la vie bureaucratique ancrée dans la terre, dont les post-it sont les supports d’une mémoire laborieuse ou automatique, aux arrières-mondes des mythes et des rêves d’enfance, où tout est encore à « envisager » mais dont l’absence de tête semble indiquer l’inverse, aux inter-mondes situés entre deux irrésolus, au-delà des formes stratifiées du langage et des représentations déterminées.
Si sa démarche et ses sujets sont protéiformes, une même traversée des inquiétudes noue ces divers espaces, traque et trame une mélancolie qui revient par le dehors. Trame, autant narrative que formelle, que la logique des motifs active comme une ritournelle. Si la toile de Jouy identifie les intérieurs bourgeois, elle est aussi ce qui cache la misère des murs décrépis, à l’image du kitsch dont Kundera disait qu’il était un voile de pudeur que
l’on jette sur la merde de ce monde. Référence à l’élégance autant qu’au vulgaire, le pied-de-poule est, lui, le point de départ de fictions réelles.
Le motif s’extrait de la surface, devient une armure factice, une maille de protection qui s’élève face à la pâte de résine d’un véritable pied de poule devenu matière et bientôt soulier enlaçant un pied absent.
Il ne s’agit donc pas d’un retour du refoulé, ainsi que les enfants inter-mondes, inter-âges
et inter-sexes en appellent l’inquiétante étrangeté, mais d’un retour hors de toute instance psychique tel un réel impossible à atteindre qui resurgirait, sans que l’on
y prenne garde, dans l’ennui et l’absurdité, comme dans ses vidéos filmant « 14 secondes
de rien ».
Sans doute est-il question d’un geste obsessionnel mu par une volonté ingénue de faire
le tour des choses, de déplier, de manière sisyphéenne et dérisoire, une « éternité de tout ».”
Marion Zilio – Critique d’art